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Le bal des vampires : comment j'ai succombé à la tentation.
Par Lisa G.
Récemment je suis allée voir le spectacle qui a fait le buzz cette saison : Le Bal des Vampires.
Superproduction, réalisation par Roman Polanski, critiques unanimes. Moi qui ai un faible pour les comédies musicales, ça promet !
Pour ceux à qui le Bal de Vampires évoque le nom d'une soirée étudiante, un bref rappel : avant de monter le musical dans les années 90, Roman Polanski avait réalisé le film en 1967. L'histoire raconte les péripéties du professeur Abronsius et de son jeune assistant Alfred, partis sur la trace des vampires en Transylvanie. Les deux compères touchent au but lorsqu'ils découvrent un village qui semble être le garde-manger des vampires. Lorsque la belle Sarah, fille de l'aubergiste dont Alfred s'est épris, est enlevée par l'infâme Comte von Krolock, nos héros se lancent à sa poursuite au mépris du danger.
20h30 au très beau théâtre Mogador, le rideau se lève et c'est parti pour un show de 2h30. Les tableaux s'enchainent avec plus d'une vingtaine de changements de décors. Ces derniers, et c'est là un des intérêts du spectacle, sont par ailleurs interactifs, et évoluent sous nos yeux au gré de la musique et de l'intrigue à l'aide d'une impressionnante machinerie. J'ai été particulièrement saisie par l'effet spécial de l'ouverture qui mêle projection vidéo sur une toile et jeu des acteurs derrière cette dernière : l'impression que ceux-ci font partie du film laisse progressivement place à celle que la projection fait partie du décor réel, matériel de la salle, et cette confusion amène une sensation d'immersion totale et immédiate, assez rare dans les tous premiers instants d'une représentation sur scène. Les costumes annoncent d'emblée le coté loufoque et décalé du spectacle. En effet, fan de Bonnie Tyler ce spectacle est fait pour vous ! Le refrain de cette comédie musicale est une reprise en Français de Total Eclipse of the Heart. Assez fidèle à l'original bien qu'adaptée au « vampirisme kitch » du spectacle. Malgré ce côté kitch, on en prend plein les yeux, et on se prend même à frissonner d'émotion entre deux éclats de rire.
Côté performance, les acteurs se donnent à fond. Ils jouent 6 jours par semaine depuis le mois d'octobre ce qui relève de la prouesse physique. Les chorégraphies, particulièrement celles où l'intégralité de la troupe, soit une trentaine de comédiens, se retrouve sur scène, constituent des tableaux qui nous plongent dans l'univers fantastique de ces vampires tournés en dérision. A noter la performance du professeur Abronsius qui m'a époustouflée, par son débit et sa diction dans l'air « Avec ma logique et ma science ». Mais saluons également les interprétations des personnages caricaturaux, Shagal, l'aubergiste ashkénaze et Herbert von Krolock, le vampire gay, qui remplissent parfaitement leurs rôles comiques.
Le Bal des Vampires est donc une tragicomédie pleine d'humour, parfois même franchement scabreuse, sur fond de passion destructrice et de damnation éternelle, ce qui lui confère une pointe de cynisme bien assumée. Toute sa finesse réside dans le fait que ce décalage s'incarne dans le contraste entre des personnages caricaturaux et parfois grotesques (exception faite peut-être du Comte von Krolock) et une mise en scène à l'atmosphère sinistre et gothique, indispensable à toute bonne histoire portant sur les vampires.
Bref, je suis sortie enthousiasmée de ce spectacle où l'on rit beaucoup et où l'on frémit parfois.
La chanson de Bonnie Tyler reste dans la tête pendant des jours, mais si vous avez l'occasion, n'hésitez pas à aller voir cette comédie musicale ! Bonne humeur garantie !
Par Lisa G.
La géographie : arme de résistance contre l’austérité au Québec.
Les politiques d’austérité se déploient partout en Occident et quelle que soit l’étiquette politique du parti en place, des réformes sociales et économiques sont prises permettant de maintenir l’actuel système néolibéral. Le néolibéralisme est un projet politique bien précis que je vais définir brièvement avant de revenir sur la néolibéralisation de tous les projets de société qui révoltent notamment les étudiants en géographie ici, à Montréal.
Le néolibéralisme est ce que M. Foucault désigne comme un capitalisme d’Etat, c’est un système prônant la privatisation et la dérèglementation de l’économie. L’Etat néolibéral est l’opposé d’un Etat providence d’inspiration keynésienne. Dans l’Etat néolibéral, le rôle de l’Etat par rapport à l’économie change, sa force s’amoindrit. La néolibéralisation peut être définie « comme processus de sa diffusion (du néolibaralisme), notamment dans les politiques publiques »[1]. Et ce qui est drôle, c’est que si la question de la pertinence du registre néolibéral depuis la crise de 2007-2009 s’est posée, on remarque tout de même qu’après la crise, il n’y a pas eu de changement de modèle mais au contraire un renforcement de celui-ci passant par des voies moins directes (sous couvert de néo keynésianisme)[2].
Pourquoi l’austérité ? Elle se justifie naturellement comme étant un sacrifice nécessaire étant donné la dette publique des Etats. Au Québec, c’est depuis le gouvernement de Lucien Bouchard vers la fin des années 1990 que les programmes sociaux connaissent des coupes budgétaires dans le but de redresser les comptes publics. [3] Depuis, cette façon de faire économiquement a été préservée, sans toujours avoir les conséquences escomptées. En effet, la dette publique aurait même été augmentée sous le gouvernement de Jean Charest malgré les coupes opérées. Alors on peut comprendre que ces mesures d’austérité nous apparaissent de plus en plus injustes et injustifiées… C’est le cas des Québécois, qui ne comprennent plus et qui veulent montrer leur mécontentement en prévoyant notamment des grèves ! eux qui n’ont pourtant pas la réputation de faire grève à tout bout de champ au contraire de nous autres, Français ! Et, les étudiants géographes sont les premiers à se sentir concernés ! Et ceci n’étant pas nécessairement dû à leur réputation de baba-cool, gauchistes, révolutionnaires mais de façon pragmatique car en tant que science humaine la géographie tente d’avoir une vision territoriale des conséquences de l’austérité qui agit sur les espaces façonnés de plus en plus par l’économie.
Pour citer un exemple, fortement lié à la géographie, on peut penser à l’environnement. Ce dernier est laissé de côté par les politiques qui doivent avant tout économiser. Ainsi la protection de la nature et la recherche en environnement connaissent également des coupes budgétaires qui ne sont pas sans conséquences aujourd’hui. L’Institut de recherche et d’information socio-économique (IRIS) du Québec a montré que le premier budget du gouvernement Couillard (2014-2015) « enregistre des compressions de 37,9 millions de dollars dans le ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques. »[4] C’est énorme, surtout qu’à mon sens se préoccuper du développement durable aujourd’hui (même si on peut en critiquer le sens, l’expression etc) fait partie des priorités. Et ces chiffres sont d’autant plus inquiétants quand on se dit que le Québec est censé œuvrer en matière de développement durable. De surcroît, le financement de la recherche est lui aussi dans les viseurs des coupes budgétaires. En bref l’austérité au Québec ressemble à l’austérité telle qu’elle est connue ailleurs, en coupant avant tout les services publics. Cette austérité permet de se faire rejoindre plusieurs luttes : des étudiants, travailleurs, chômeurs, parents, écologistes, régions etc. et devrait aboutir à un vaste mouvement de résistance. Bien qu’utopistes et motivés par l’espoir d’un changement, les étudiants géographes sont réalistes et savent que ce n’est pas un simple mouvement de grève qui renversera les choses. La néolibéralisation demeure un tournant sans précédent pour les politiques sociales, économiques et urbaines qui nous touchent dans la vie de tous les jours. Alors au-delà de la géographie, c’est humainement qu’il faut repenser le système et les politiques conduites à ce jour. D. HARVEY (2007) dit justement en parlant du néolibéralisme, que « c’est là qu’un principe extrêmement important, et devenu global, est apparu pour la 1ère fois : s’il y a un conflit entre le bien être des institutions financières et le bien-être de la population, le gouvernement choisira le bien être des institutions financières ». [5] Il n’est plus possible que ce principe règne.
A l’image du mouvement des Indignés qui a déferlé en Europe en 2011, les grèves qui vont avoir lieu au Québec et à Montréal en particulier en rappellent le fonds, une volonté d’un système plus social, plus juste et moins capitaliste…
Par Marion R.
[1] Marianne Morange et Sylvie Fol, «Ville, néolibéralisation et justice», justice spatiale | spatial justice, n° 6 juin 2014, https://www.jssj.org
[2] Ibid.
[3] Revue du Comité Géostérité de l’UQAM (Université du Québec à Montréal)
[4] Revue du Comité Géostérité de l’UQAM (Université du Québec à Montréal)
[5] Charlotte Recoquillon, « Néolibéralisation et (in)justice spatiale : le cas de la gentrification de Harlem », justice spatiale/spatial justice, n°6 juin 2014.
Crise ukrainienne : quelle guerre pour quelles frontières ?
Par Bryan S.
Et pourquoi nous haïr, et mettre entre les races
Ces bornes ou ces eaux qu’abhorre l’œil de Dieu ?
De frontières au ciel voyons-nous quelques traces ?
Sa voûte a-t-elle un mur, une borne, un milieu ?
« La Marseillaise de la Paix » A. de Lamartine
Un ami m’a récemment demandé de lui expliquer simplement et synthétiquement la crise Ukrainienne, ses tenants et ses aboutissants. J’avoue que de prime abord et malgré le flux d’informations quotidiennes qui nous inonde sur le sujet, il m’a été particulièrement difficile de donner une réponse immédiate à sa requête. La facilité et les représentations collectives me pousseraient à lui dire que ce conflit n’est que le fruit de l’impérialisme russe renaissant incarné par ce diable de Vladimir Poutine, dictateur monstrueux ou tout du moins dirigeant autoritaire, qui bafoue chaque jour un peu plus les libertés individuelles, les Droits de l’Homme, la Morale, et qui ne cherche que l’affrontement avec le monde occidental afin de faire ressurgir des tréfonds de l’Histoire la Guerre Froide qui marqua les grandes heures de son pays. pourtant après mure réflexion j'ai tendance à croire, que ce conflit, plus qu'un affrontement purement idéologique, est avant tout une question de Frontières.
Ainsi, le conflit Ukrainien pose de façon très nette la question qu’on a jusqu’alors jamais résolue : celle de la frontière de l’Europe, ce sous-continent ne se distinguant de façon pas aussi nette qu’on voudrait le penser du continent eurasiatique. Si les frontières occidentales de l’Europe ne laissent planer aucun doute, il n’en est pas de même de sa marge orientale, dont les limites ont pu évoluer au fil des siècles ; ce qui tend à remettre en question cette définition donnée par le grand Général, d’une Europe « de l’Atlantique à l’Oural ».
Je me souviens d’une citation du regretté Jacques Le Goff (Jack pour les intimes) qui fut le support de ma première grande dissertation d’histoire disant que « l’Europe est née au Moyen-âge ». Celle-ci démontrerait que l’Europe ne correspond pas seulement à une réalité géographique, mais davantage a un construit cognitif, une représentation mentale, reposant sur une Histoire, une culture et des valeurs communes. On doit alors comprendre que les frontières naturelles faites par la volonté de Dieu ou de la Nature, de fleuves de montagnes et de mer, qui sont pour nombre d’entre nous une évidence, ne sont qu’un mythe dépourvu du moindre sens. Pas une discontinuité géographique, ne justifie à elle-seule de faire frontière, de marquer la limite entre deux territoires. La frontière n’est qu’humaine et est le résultat de la volonté d’un groupe de se distinguer de son voisin, de déterminer une ligne qui sépare son chez lui, son territoire c’est-à-dire un espace qu’il s’est approprié, de chez les autres. D’ailleurs si on s’appuie sur l’Histoire, on remarque que la limite de l’Oural comme frontière européenne, n’a été déterminée qu’au début du XVIIIème par Pierre le Grand, Tzar de Russie et son géographe que bien évidemment tout le monde connaît Tatichtchev, ces derniers désirant via l’imposition de cette nouvelle frontière ancrer leur Empire dans l’Europe Occidentale, afin d’intégrer le jeu des Royaumes européens.
Diantre que c’est ironique sachant qu’aujourd’hui c’est l’élargissement de l’Europe qui pourrait être responsable de la crise ukrainienne.
Mais alors, me diriez-vous, où se situait auparavant la Frontière du continent Européen ? C’est certainement ça le plus intéressant, la limite séparant l’Occident de l’Orient, était une démarcation essentiellement religieuse provoquée par le Grand Schisme de 1044, distinguant l’Europe catholique du monde orthodoxe, auquel appartenait l’actuelle Ukraine. De ce fait, les frontières européennes telles qu’on nous les a apprises à l’école ne sont pas plus évidentes aujourd’hui, qu’elles ne l’étaient il y a trois siècles, et ne sont qu’une facilité intellectuelle, permettant à l’écolier de se représenter rapidement et simplement le continent sur lequel il vit.
Mais revenons à notre principale préoccupation qui est de comprendre la crise ukrainienne. Il apparaît aujourd’hui que l’Ukraine se trouve déchirée entre deux mondes auxquels elle a historiquement et culturellement tout autant de raisons d’appartenir ; d’un coté le monde russe, auquel elle a été si longtemps rattachée voir soumise, de l’autre le continent européen qu’on a tendance à confondre avec l’Europe institutionnelle que représente l’Union Européenne, et qui si on se fie à ce que l’on entend autour de nous lui promet un avenir radieux et des lendemains qui chantent. La question qui se pose alors est : l’adhésion à l’un implique-t-il nécessairement le rejet de l’autre ?
En se référant à l’adhésion des anciennes républiques populaires et pays baltes à l’Union Européenne en 2004, on remarque que leur intégration à l’UE s’est faite en parallèle à leur entrée dans l’OTAN, organisation où les Etats-Unis d’Amérique exerce un leadership incontestable. Et c’est en réalité cela qui fait tant craindre au Kremlin un rapprochement entre l’Ukraine et l’UE, qui ne veut pas voir l’OTAN s’étendre jusqu'à ses portes, d’autant plus que d’anciennes Républiques soviétiques et pays voisins ont déjà franchit le pas vers l’Occident.
C’est pourquoi ce conflit entre deux sphères d’influence fait ressurgir le spectre de la guerre froide, d’un conflit de blocs, de civilisations ; qui transparaît de plus en plus dans les discours de nos dirigeants politiques, qui ne craignent pas de s’appuyer sur un manichéisme aussi facile que dépassé. S. Huntington qui rejetait l’idée d’un monde unipolaire post guerre froide, évoquait dans Le choc des civilisations et la refondation de l’ordre mondial , le repli non pas national ou ethnique mais civilisationnel résultant de l’éclatement des blocs. Pour le cas de l’Ukraine nous aurions donc affaire à un conflit entre deux ensembles, la civilisation occidentale d’un coté et la civilisation orthodoxe. On note d’ailleurs que plus les pays occidentaux (les gentils dans notre modèle manichéen) font preuve de fermeté dans leur opposition contre le voisin russe, plus ce dernier s’éloigne de l’Europe, radicalise ses positions et se replie sur lui-même en provoquant de fait la construction d’un nouveau rideau de fer. C’est d’autant plus dommage que jusqu’à présent cette position intransigeante n’a pas permis de résoudre durablement la crise ukrainienne alors que de chaque coté on sait combien l’affrontement direct serait synonyme de destruction mutuelle. En ce sens on est dans la même situation mentionnée par Raymond Aron pour désigner la Guerre froide, entre paix, ou ici plus vraisemblablement, intégration impossible et guerre improbable ; c’est pourquoi la coopération entre les deux camps est nécessaire pour permettre le retour à la normal en Ukraine.
Pour finir, j’aimerais citer Vaclav Havel ancien dirigeant tchèque, qui en rappelant que les conflits trouvaient leur origine dans des querelles de frontières, et la conquête ou la perte de territoire, affirmait que « le jour ou nous conviendrons dans le calme où se termine l’UE et où commence la Fédération de Russie, la moitié de la tension entre les deux disparaîtra. »
Le conflit ukrainien rappelle de la plus sanglante des manières, la nécessité de rediscuter et de débattre de l’avenir que nous voulons donner à l’Union Européenne et des limites orientales de notre continent. Cette crise nous oblige également à réfléchir à sa possible expansion, en ne se limitant pas seulement à la question de la possible adhésion de la Turquie et en remettant en perspective la conception américaine d’une Europe englobant tout le continent sauf la Russie, qui ne n’impliquerait actuellement qu’une résurgence du « containment » mis en place par le bloc occidental au lendemain de la deuxième guerre mondiale. Aujourd’hui plus que jamais il est indispensable de dépasser le concept de frontière comme ligne de séparation et ou d’affrontement entre deux ensembles, et de se diriger vers l’idée de frontière comme interface, espace ouvert permettant l’échange et la discussion.
De façon certainement naïve et insouciante, je crois que l’Ukraine peut devenir cette interface, ce pont entre les deux civilisations, qui ne sont pas nécessairement des ennemis héréditaires. Pour y arriver, nous devons impérativement dépasser les idées préconçues, les préjugés et les fausses perceptions que nous entretenons envers notre voisin russe et leur dirigeant, qui handicapent toute possibilité de compromis et de future coopération.
Par Bryan S.