Mode
Du fil à la plume.
Par Déborah D.
J’ai toujours eu une profonde admiration pour les gens qui savent s’armer de patience et ceux dont je vais vous parler maintenant en ont fait leur vocation professionnelle : les artisans des métiers d’art. Sujet peut être anodin pour certains, ennuyeux pour d’autres, mais en réalité d’une importance nationale. Car, mes chers compatriotes, il en va de notre cher et tendre patrimoine, cette fameuse exception française. Ces métiers d’art ont longtemps été déclarés en voie d’extinction. Aussi compétents que la WWF dans son domaine, les maisons de couture et grandes marques de mode se sont érigés comme les saints sauveurs des métiers d’art. Avec et grâce à elles, les métiers d’art constituent une vitrine d’excellence et contribuent au rayonnement de la France dans le monde entier.
Quels sont ces métiers d’art ? Brodeur, plumassier, parurier…tous travaillent la matière avec leurs petites mains, exécutant les gestes historiques qui se répètent et se transmettent au fil des années et des siècles. Du chapeau à la botte, de la dentelle au sac à main, les artisans oublient le temps pour se consacrer à leur ouvrage. Les ateliers sont éloignés de toute logique de rentabilité sur le court terme, mais font partie intégrante du patrimoine français.
Les acteurs de la mode ont très vite su se rapprocher des artisans pour sublimer leurs créations et faire d’un simple détail la caractéristique exceptionnelle d’un vêtement. Dans les années 30, Elsa Schiaparelli, la créatrice la plus Romaine des Parisiennes, faisait régulièrement appel au brodeur Lesage pour des pièces inspirées et inspirantes : le char d’Apollon du Jardin de Versailles sur une cape brodée, ou plus avant-gardiste, les signes du Zodiaque rebrodés sur une veste co(s)mique, le tout travaillé par la Maison Lesage.
Collaborer, c’est bien, soutenir, c’est mieux. Les maisons de mode se sont investies d’une mission : protéger les savoir-faire, allant jusqu’à racheter les ateliers, qui souffraient d’une pénurie de repreneurs. Les ateliers ont en effet évité une disparition qui aurait coûté cher à la haute couture française. Ainsi Chanel ne cesse de reprendre depuis 1985 différents ateliers de métiers d’art, aux quatre coins de la France : regroupés sous la filiale Paraffection, les ateliers tels que Desrues (parurier), Lemarié (plumassier et fleuriste), Lesage (brodeur), Maison Michel (modiste) travaillent aussi bien pour Chanel que pour d’autres maisons dont Dior, Louis Vuitton, Balenciaga…Mais Chanel n’en reste pas là : depuis 2002, la griffe de Mlle Coco met à l’honneur les savoir faire des métiers d’art à travers un défilé-voyage qui leur est exclusivement consacré. En marge du calendrier traditionnel des défilés, l’évènement se produit chaque année dans une nouvelle ville, en lien avec l’histoire de la dame au camélia.
Le 2 décembre 2014, à Salzbourg s’est tenu le défilé des métiers d’art de Chanel : destination-clin d’œil à la veste du tailleur Chanel, où Gabrielle aurait trouvé l’inspiration en voyant la tenue d’un liftier d’un hôtel de la ville. On retrouve cette anecdote dans le court-métrage Réincarnation, qui illustre la nouvelle campagne des Métiers d’Art de Chanel. Et il faut dire que côté égéries, Chanel a encore mis le paquet puisque la mannequin-star de l’année 2014, Cara Delevingne (so cute en Sissi) et le grand Pharell Williams (so funny en liftier) sont réunis dans cette vidéo publicitaire. La collection précédente était portée par l’actrice Kristen Stewart dans un univers country-luxe. En faisant appel aux stars les plus en vue du moment, Chanel montre que les métiers d’art font la mode, même dans les années 2010.
Sauver les métiers d’art, c’est aussi assurer un bel avenir à la haute couture : il en va de sa survie, tout comme il en va de la survie des métiers d’art. La haute couture répond à d’étroites règles auxquelles peu de maisons de mode peuvent répondre. Pour Chanel, racheter de nombreux ateliers, c’est certes garantir la perpétuation de leur savoir-faire, mais d’une certaine manière, c’est aussi maitriser ces fameux savoir-faire. En juin 2014, Chanel élevait sa participation dans le brodeur Lesage à 70%, comme pour accentuer sa main mise sur l’atelier de broderie, entré dans le portefeuille de Chanel en 2002.
Lesage, pourtant, a contribué à la propre sauvegarde de son patrimoine puisqu’en 1992, l’atelier a fondé son école de broderie, permettant des formations plus ou moins courtes pour s’initier à la broderie. Transmission, patience et savoir faire sont les maitres mots de l’école Lesage. Certains ateliers se sont enfin érigés comme des marques à part entière, en créant et commercialisant leurs propres collections. Maison Michel, atelier de chapeaux sur mesure, présente chaque saison, en parallèle de ses collaborations avec les créateurs de mode, sa propre ligne de chapeaux et accessoires de tête, depuis l’arrivée de Laetitia Chahay, directrice artistique.
Si les métiers d’art, et pas uniquement ceux réservés à la mode, vous intéressent, ou si vous êtes tout simplement curieux, notez que les 27, 28 et 29 mars 2015 sont consacrées aux Journées Européennes des Métiers d’Art. Des évènements, visites d’ateliers, rencontres avec les artisans sont programmés un peu partout en France. L’occasion de découvrir les perles rares que sont nos savoir-faire français. D’ici là, il faudra bien prendre son mal en patience.
Par Déborah D.