Edito
Rien que pour un sourire
Par Déborah D.
Vendredi 9 janvier 2015, 18 heures. Paris respire. L’atmosphère pesante et l’angoisse ambiante sont partis en fumée avec les tirs qui ont retenti lors du double assaut contre les terroristes de "Charlie Hebdo" et de l’Hypercasher. 17 personnes en tout. 17 personnes tuées parce qu’elles étaient les ardents et impertinents défenseurs de notre liberté d’expression, les garants de notre sécurité, ou bien parce qu’elles étaient simplement juives. Pour moi, ces 3 jours furent plus que pénibles. Pénibles à cause des horreurs commises par ces fous furieux qui finalement ont réussi leur(s) coup(s). Pénibles à cause de la mobilisation médiatique que ces attaques ont engendré : télévisions, sites d’information, réseaux sociaux nous ont ressassé la scène sanglante chez "Charlie Hebdo", ont laissé couler les larmes de Patrick Pelloux, ont tenu en haleine les millions de Français que nous sommes lors de cette traque interminable. J’allume la télévision, je suffoque. Je vais sur Internet, j’étouffe. Je sors, rien ne change. 3 jours interminables, où le temps s’est arrêté dans la capitale. Les heures passent au ralenti depuis la fusillade au siège de "Charlie Hebdo". C’est symptomatique, les gens sursautent à un simple bruit, à l’anodine panne d’électricité des rames de métro. Il fallait avoir le cœur bien accroché pendant ces trois jours.
Bien sûr, je suis Charlie. Pourtant "Charlie Hebdo", c’est loin d’être ma came. Loin d’être hypocrite, je reconnais le talent et la verve mais je ne partage pas les mêmes idéaux que ces joyeux lurons. En revanche, j’ai toujours pensé que ces fameuses caricatures faisaient beaucoup de bruit pour rien : c’est dans l’ADN de "Charlie Hebdo" de se moquer de tout, de provoquer avec humour. Et dire que ce ton si impertinent, si cinglant parfois, leur a coûté la vie…Je suis triste pour le journalisme français qui a perdu des monuments de la presse et pour ces familles qui ont perdu un proche dans des conditions d’une barbarie sans nom.
Et puis je suis juive. Ceci n’est pas du communautarisme mais comprenez ces mots comme un foutu ras-le-bol : marre qu’on en revienne toujours au même point, qu’on s’en prenne encore et encore à des Juifs. Samedi 10 janvier, au journal de 13h, la cousine d’un des quatre otages tués Porte de Vincennes raconte que son cousin est mort froidement d’une balle dans la tête parce qu’il avait tenté de s’emparer de l’arme du preneur d’otages, qui avait alors le dos tourné. Et là, je ne sais pas pourquoi, je pleure. Il avait une vingtaine d’années. Ce jeune homme, qui aurait pu être mon cousin, avait toute sa vie devant lui et on la lui a prise à cause de ses origines.
Alors pour lui et pour les seize autres, pour nos valeurs républicaines et notre liberté d’expression, je suis allée marcher dimanche après-midi. Enfin, piétiner tellement il y avait de monde. Les artères parisiennes entourant la place de la République étaient si bouchées qu’on ne pouvait plus y accéder. Beaucoup de gens comme moi avons préféré prendre un itinéraire parallèle à la marche officielle et nous voilà sur le Boulevard Beaumarchais pour rejoindre la place de la Bastille. Dans la foule, j’entends une femme, parlant aux gens autour d’elle : « Elle est belle la France, quand même ». Puis, cette phrase résonne dans ma tête. Faut-il attendre d’être atteint au plus profond de ses croyances et de ses principes pour s’unir ? Faut-il attendre de se rassembler dans une situation de deuil pour entonner la Marseillaise ? Oui, dimanche dernier, nous avons vécu « un jour historique » comme nous l’ont répété les médias. Maintenant, il faut transformer l’essai. Prendre des mesures, Messieurs les Politiques, afin d’éviter que l’on ait à revivre trois jours de terreur et de drames de ce type. Se souvenir, aussi, Mesdames, Mesdemoiselles et Messieurs les Français qui êtes allés marcher ce week-end aux quatre coins du pays, de ce moment de sincère union dans l’émotion, lorsque celle-ci sera passée et que l’on recommencera à faire la tête dans le métro. Peut-être, ainsi, esquisserez-vous un sourire.
Par Déborah D.