Edito
Qui est Charlie ?
Par Bryan S.
Nous ne sommes pas Charlie, et je tiens à préciser avant toute chose que je ne cherche pas là à faire une quelconque apologie du terrorisme et de l’acte aussi abominable qu’insupportable qui s’est déroulé mercredi 7 janvier 2015, seulement à m’interroger sur que veut dire être Charlie. C’est un fait, si nous avions été Charlie, la situation financière du journal ne serait pas celle qu’elle est aujourd’hui ; si nous avions été Charlie nous aurions nous-mêmes comptés parmi les cibles de ces barbares, parce que nous nous serions battu au nom de la liberté d’expression, et même pire si nous avions été Charlie plus tôt peut-être aurions-nous pu éviter de faire de ce journal une cible. D’ailleurs nous sommes-nous exprimés en 2006 après que Charlie Hebdo a pris ses responsabilités en publiant, presque seul contre tous les caricatures danoises ?Qu’avons-nous fait en 2011 après que le bâtiment de Charlie Hebdo a été victime d’un premier attentat (heureusement sans victime) pour protester contre son numéro spécial Charia Hebdo ? Et soudain quasi unanimement, la France s’est réveillée mercredi 7 janvier Charlie se souvenant que la liberté d’expression pourtant inscrite dans le préambule de sa constitution était l’un des piliers de sa démocratie et a fait part dans un élan populaire et ostentatoire de son soutien pour les victimes de cette ignoble attentat aussi bien sur les réseaux sociaux que dans les rues.
Aujourd’hui, nombre de Français se disent Charlie, policier, juif, français et j’en passe. Etre Charlie est devenu une bonne vieille salade niçoise, un mesclun regroupant sans cohérence toutes les opinions et toutes les sensibilités. Car c’est bien là l’ironie, nombre de gens qui étaient forts critiques à l’égard du journal (dont des gens qui ont porté plainte à une dizaine de reprises contre le journal, comme je ne sais pas moi, le clan Le Pen…) ont voulu se réclamer de Charlie Hebdo et de sa liberté d’expression. Ironie suprême d’ailleurs des hommes politiques sont actuellement en train de militer pour faire voter un patriot act à la Française soit un ensemble de lois qui en soit nuiraient aux libertés fondamentales dont la liberté d’expression et tout cela au nom de Charlie Hebdo. D’autres encore, là aussi souvent adepte de la couleur bleu marine, ont vu dans ces actes de terrorisme un moyen de stigmatiser la communauté musulmane, déversant leur haine islamophobe sur les réseaux sociaux et attaquant des lieux de cultes. C’est tout de même particulièrement paradoxal d’affirmer lutter au nom de la liberté d’expression, et des valeurs républicaines, et d’oublier que la liberté de culte est inscrite elle aussi dans la déclaration des droits de l’homme de 1789. On comprend alors qu’être Charlie ne veut absolument pas dire se réclamer de l’esprit Charlie, dont il faut le reconnaître les gens de notre génération ne savent que très peu. Pour la majorité d’entre nous Charlie se résume à des Unes provocatrices qu’on regarde avec sourire pour moi, et indignations pour d’autres, quand on passe devant un kiosque, sans pourtant aller plus loin dans la lecture.
Cependant nous voulons être Charlie, nous voulons que ce qui s’est passé à la rédaction de Charlie Hebdo ne puisse plus se reproduire, que jamais plus on ne meurt pour un dessin. Là encore on se rend compte qu’il y a une certaine distance entre ce qu’on veut affirmer et ce que l’on fait véritablement. C’est ainsi que des journaux Anglo-Saxons qui pourtant titraient « Je suis Charlie », floutaient les caricatures de Charlie Hebdo, démontrant leur hypocrisie et leur engagement de façade. Car ça a l’air facile d’être Charlie, ça n’engage à rien, et c’est bien là le problème, peu importe d’être Charlie aujourd’hui si ce n’est pas pour l’être demain. Être Charlie ne peut signifier qu’un engagement permanent pour la défense de la liberté d’expression, et plus généralement pour le respect des droits de l’homme, aussi bien ici qu’ailleurs, maintenant et dans les années qui suivent. Etre Charlie, c’est encourager le maniement de la plume et du crayon (ou plus vraisemblablement du clavier) plutôt que celui des Kalashs, et favoriser le débat plutôt que le combat. J’entends déjà les amateurs de Dieudonné et autres antisémites en puissance me dire que je suis partisan d’une liberté d’expression à deux vitesses, ne m’étant pas personnellement opposé à l’interdiction des spectacles de ce prétendu humoriste, alors même que je me suis offusqué quand on a attaqué Charlie pour délit de blasphème en Alsace en 2013. Je répondrais que la liberté d’expression et de critique n’est pas la liberté de stigmatiser une certaine communauté et d’inciter à la haine contre celle-ci. Car de ce que j’ai pu en observer, c’est bien réducteur de limiter le travail de Charlie Hebdo à ses quelques caricatures du prophète et à ses Unes racoleuses, qui sont numériquement bien moins nombreuses que les attaques de Charlie à l’égard du Pape, de la religion chrétienne ou de ses croyants. Je fais partie de ceux qui pensent que ce 7 janvier 2015 constitue un 11 septembre français, tant ces attaques ont une portée symbolique qui a su réveiller notre conscience républicaine. Gardons durablement le souvenir de ces tristes journées, afin de continuer à se battre pour la sauvegarde des valeurs républicaines, et afin que le mouvement « je suis Charlie » survivent à la vague d’émotion suscitée par ces attentats. C’est pourquoi à partir d’aujourd’hui et tous les autres jours qui suivront je suis et je serai Charlie, mais aussi Ahmed, Bernard M, Bernard V, Clarissa, Elsa, Franck, François-Michel, Frédéric, Georges, Jean, Michel, Mustapha, Philippe B, Philippe H, Stéphane, Yohan, Yoav.
Par Bryan S.